Énergie et transports
L'impasse dans laquelle nous mène la croissance des
transports et l'usage généralisé de la voiture ressemble à celle de l'énergie, mais en pire. En
effet, concernant l'énergie on ne peut évoquer beaucoup de solutions même
"si on suit les prolongations tendancielles" et une multiplication par
2 des consommations pour 2050... On parle de la fusion
nucléaire : cette solution n'est pas prête avant 2050, il faut le rappeler.
Ce n'est pas moi qui le dit : c'est le CEA qui s'occupe du projet ITER pour la
France, sur http://www-fusion-magnetique.cea.fr/energies/energie03.htm#ch2,
le Commissariat à l'Énergie Atomique est un organisme dont on ne saurait croire la méfiance envers
les idées scientistes, ou du moins manquer de confiance en la science.
C'est pourquoi je pense qu'il est vain de vouloir développer la fusion, allouer
des sommes gigantesques à ce projet, qui fera croire qu'il n'est pas nécessaire
de revoir notre mode de vie. Il n'y aura de toute façon pas de prolongation tendancielle
de la croissance économique, permettant d'allouer des crédits croissants à
cette recherche et lui permettant d'aboutir "en 2050". Mais pour
l'énergie, l'impasse n'est pas complète, de manière un tout petit peu plus
réaliste que la fusion, on peut évoquer pour les prochaines décennies, comme
solutions, le
photovoltaïque si on réduit les coûts de production et trouve un moyen de
stocker l'électricité, la surgénération (construire des centaines de réacteurs
par an dans le monde...), l'usage massif de charbon avec séquestration de CO2,.
Ce sont les trois seules solutions qui permettent d'envisager une énergie
abondante sans chaos climatique.
Concernant les transports, la source d'énergie à laquelle ils sont intiment
liés, le pétrole, est prochainement en déclin : 2006, 2015...c'est peu de
temps, comparé à celui nécessaire à mettre en place des alternatives. C'est aussi
parce qu'il n'y a aussi
qu'à "espérer" en ce vague mirage qu'est l'hydrogène, qu'il y a tant
de mal pour trouver des solutions pour les transports.. En pratique, rien ne
peut remplacer l'efficacité des carburants liquides, donc du pétrole, pour les
transports : en effet, les gaz (H2 et CH4) et l'électricité
se
transportent facilement mais se stockent difficilement, le charbon est facile à
stocker mais non à transporter et à brûler : les carburants liquides représentent le
compromis entre facilité de transport et de stockage, donc les seules
utilisables pour les véhicules à énergie embarquée (donc de tous les
transports, sauf sur voie ferrée électrifiée). Rien d'autre que cette forme
d'énergie ne permet les transports abondants et pas chers. C'est justement ce carburant
liquide dont la ressource pose la plus problème, le pétrole (deuxième
ressource la plus rare, après le gaz) et dont la production renouvelable
(biocarburants) est des moins efficaces par unité de surface, la plus difficile
à envisager à grande échelle (contrairement à la production d'électricité
ou de chaleur). On peut faire toute le chauffage et toute l'électricité de notre
pays, théoriquement, en couvrant de panneaux solaires environ 10% du territoire,
c'est-à-dire tous les toits. Mais en couvrant toutes la surface agricole de
colza pour les biocarburants, on ne produira qu'un tiers de notre consommation
de pétrole au mieux.
Si l'on cherche comme solution de substitution au
pétrole la liquéfaction du charbon, cette énergie abondante, ou à
faire rouler directement la voiture à charbon, on ne peut pas séquestrer les
émissions de gaz des véhicules en mouvement : catastrophe climatique en vue suivant
cette idée.
En plus de la formidable régression environnemental que représentera
l'accroissement de la pollution des villes avec des voitures à charbon, si on ne
cherche pas à diviser le nombre, à remettre en cause sérieusement la voiture.
Donc, on voit là la situation insoluble pour les transports dans une logique de
croissance ou de développement durable. Et pourtant... le nombre de km de
voitures et de camions croît (+3% par an en France) plus vite que l'économie,
quand à l'aviation, c'est encore pire (+ 4,5% par an dans le monde pour
les voyageur.km.... actuellement 500km par an et par humain en moyenne, chiffres
Airbus). Et c'est
l'aviation pour laquelle il est le moins possible de trouver une alternative aux
carburants liquides, sous une forme à haute densité énergétique, le kérosène. Il en
est de même pour la voiture (et plus encore les camions) sur longue
distance.
Et les constructeurs de voitures envisagent des moyens de réduire les consommations
de voitures seulement en ville : voiture électrique, hybride... là où il est le plus
facile de remplacer la voiture : vélo, transport en commun.
Le pétrole verra son extraction, et donc sa consommation, diminuer à partir du
pic d'Hubbert mondial. Ce pic n'est pas pour 2030 ou 2050, comme on le voit
encore écrit parfois, mais pour 2005-2010 (selon l'ASPO)... 2020 au plus tard
(selon BP, Shell, qui ne manquent pas de confiance en les capacité de l'industrie
pétrolière puisqu'elles en sont). Imaginer que pour les transports, on puisse continuer sur une
croissance de la consommation de pétrole quelques décennies pour passer à
l'hydrogène le moment venu, comme on change de braquet à bicyclette, c'est de
l'aveuglement. Outre l'inefficacité énergétique de cette solution (pour
l'hydrogène, il faut un
réservoir de 500kg au moins pour contenir 40 kilo-équivalent pétrole : c'est
uniquement pour de grosses voitures), l'hypothétique
avènement de "l'économie de l'hydrogène" ne commence pas avant
2030, et on peut supposer si pour le pétrole et donc l'économie, tout suit son rythme
normal, ce qui permettrait de donner à la recherche hydrogène les fonds suffisants. Là encore,
ce 2030, ce n'est pas moi qui le dit, c'est le ministère de l'industrie : http://www.industrie.gouv.fr/energie/prospect/textes/hydrogene2003.htm,
encore un organisme qui ne nous a jamais fait part de doutes vis-à-vis de la
science pour atteindre les objectifs économiques. Même si "tout se passe
bien" pour le pétrole, l'hydrogène n'est pas pour demain. Il y aurait
donc un invraisemblable grand
écart de 10 à 30 ans à faire entre le début du déclin du pétrole et la
mise en place d'une économie de l'hydrogène. Il y aura donc de toute façon une décroissance des
transports. Et pour les mêmes raisons que la fusion
nucléaire, il n'y aura pas
d'économie de l'hydrogène finalement : il faudrait les crédits croissants d'une
société de croissance pour financer la recherche pendant 30 ans, puis mettre en place cette
chimérique "économie de l'hydrogène" avec toute la chaîne
d'approvisionnement, équipements, infrastructures, que ça implique, or la croissance s'arrêtera avec le
déclin du pétrole.
La question des transports est insoluble dans une logique de croissance intégrant deux ou trois questions d'environnement global : notre objectif de division par 4 des émissions de gaz à effet de serre, l'épuisement des ressources en pétrole... et une contrainte technique : l'impossibilité de remplacer massivement ce même pétrole comme source d'énergie pour les transports. On parle aussi de voiture à gaz : c'est oublier que le pic d'extraction de gaz suivra de près celui du pétrole, et que pour les même raisons que l'hydrogène (masse et encombrement du réservoir), un véhicule gaz est plus inefficace énergiquement.
Toutes ces choses sont évidentes, sauf peut-être une : c'est que c'est évident. Le transport est alors littéralement un sujet tabou dans les questions d'orientations énergétiques se préoccupant d'effet de serre, reste domaine sacré intouchable (puisque indispensable à une économie croissante et compétitive) : on continue à construire autoroutes et aéroports comme si de rien n'était. Du moins, quand on vante la construction d'une autoroute ou d'un tronçon d'autoroute, c'est l'environnement global qui devient sujet tabou, même si on met en avant l'environnement local : oui, elle est bien "intégrée au paysage", on récupère les hydrocarbures, donc pas de pollution des eaux, on met des murs anti-bruits, les riverains ont pas de raison de se plaindre. Bravo les autoroutes écolos pour le Développement Durable de l'économie.
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Enfin, il me semble (mais je peux me tromper) que ce tabou commence à peine à être levé, c'est une évidence que la croissance des transports est un interdit si l'on souhaite atteindre l'objectif pour notre pays de division par 4 des émissions de gaz à effet de serre, objectif qu'a récemment réaffirmé (16/02/2005) le Président Jacques Chirac. Mais d'un autre côté, les économistes ne cessent de défendre des transports croissants comme indispensables à notre économie : alors, mettra-t-on plus d'essence sur le feu de la maison qui brûle, pour satisfaire cette croissance, ou prendra-t-on ce mal par la racine?
Malgré ces contraintes difficiles de faire cohabiter transport, croissance
et existence de limites de notre planète, j'ai pu voir des scénarios d'un partisan du
développement durable, P.Radanne(du moins je doute qu'il fût décroissant) atteignant le
facteur 4 pour 2050. Il contient une réduction (drastique pour économiste...
révolutionnaire et impossible à mettre en place pour un
dirigeant politique...) d'un facteur 2 de la consommation d'énergie des
transports, avec pour assurer la consommation restante beaucoup d'électricité...
c'est à lui que j'emprunte le terme d'"interdit" pour la croissance
des transports.
En général, les scénarios de "développement durable" pour
atteindre le nécessaire objectif du Facteur 4, objectif dont on ne peut
se cacher qu'il est crucial depuis que notre Président l'a affirmé, tiennent à peine
debout. Ils ne laissent aucune marge possible en cas d'erreur d'évaluation quelque part
: ce qui est grave car ils s'appuient notamment sur d'hypothétiques avancées
technologiques dont on ne sait si elles peuvent se réaliser (dans ce cas :
usage de l'hydrogène, stockage de l'électricité). Qui essayerait d'acquérir
des extincteurs au poker s'il voyait sa maison brûler? Qui dans cette situation
se réfugierait dans la foi en la science (ou en
n'importe quoi d'autre)? Cette foi en la science conduit
à l'inaction, le laisser-aller, en se disant : "on trouvera bien la
solution, le jour venu"...Ce jour venu, on se rendra compte que cette
solution, c'est bien de décroître (on a par exemple, l'AIE paniquant un peu, proposant récemment de
réduire fortement la vitesse des voitures sur autoroute, de rendre gratuits les
transports en commun...), mais il se peut que ce soit trop tard. Nous nous
trouvons dans une flambée spéculative comme en 1929, mais ici la spéculation
n'est pas (seulement) financière : elle est dans le domaine idéologique.
L'idée est que la croissance continuera indéfiniment, car la technique et les lois du marché trouveront la solution au problème
énergétique, trouveront de quoi remplacer le pétrole... et aussi que la voiture pour tous est essentiel au Bonheur, par un mode
de vie qu'on ne peut pas négocier.
C'est pourquoi nous préconisons l'instauration d'une société de
décroissance, passant entre autres par relocalisation de l'économie, la baisse
drastique du trafic automobile, suivant ou devançant celle de l'extraction
d'énergie. Et il nous faut décoloniser l'imaginaire : on ne sera pas
malheureux à faire moins de kilomètre, et les faire en vélo ou transport en
commun. Cette diminution
de l'utilisation de l'énergie et de la voiture n'est pas un drame étant donné
la gabegie que nous devons réduire, en luttant contre les idées inculquées
depuis des décennies. Par contre, avec un volume décroissant de pétrole extrait, la volonté
de conserver sa consommation pour
chaque pays, et à l'intérieur de chaque pays par chaque individus, dégénérerait
rapidement en guerre, chaos social.
Il s'agit aussi d'intégrer dans nos hypothèses économiques que
le déclin mondial de l'extraction de pétrole est pour très bientôt, qu'il
n'y aura pas de solution miracle pour remplacer cette énergie. Nous ne doutons
plus que l'économie mondiale en général et française en particulier devra
prochainement se rendre compte de la réalité pic d'Hubbert, et en conséquence
de l'absurdité de ses investissements (autoroutes, aéroports) effectués en
supposant une croissance ad infinitum de l'extraction et de la
consommation d'énergie. Nous voyons aujourd'hui des convulsions de l'économie
mondiale liées au pétrole, sans faire d'idéologie nous ne savons s'il s'agit
de prémisses annonçant ce pic pétrolier très prochainement, ou si la
situation peut encore perdurer quelques années. Toujours est-il qu'il est
certain qu'elle prendra fin un jour et que nous ferions mieux d'organiser
nous-même la décroissance de la consommation, avant que la décroissance de
l'extraction de pétrole ne nous l'impose.