Cette courte conférence, prononcée (virtuellement) à une autre occasion, convient parfaitement dans le cadre de ce site afin de diversifier les sujets qui y sont abordés. C'est pourquoi je me suis permis de copier sans scrupule le texte sur mes propres données afin de le mettre à la disposition de mes nombreux lecteurs, s'ils le souhaitent.
Décor : imaginer une salle
de conférence rectangulaire à Irkoutsk, dans le plus pur style stalinien,
pleine à craquer. Le conférencier entre; la salle pousse un "aaaaah!"
d'apaisement. Son air austère d'historien de l'URSS ne semble pas concorder
avec le sujet de sa conférence...
"Mesdames messieurs, bonsoir. Je vois que vous êtes
venus nombreux pour assister à cette conférence sur l'humour russe à l'époque
soviétique. Je vous en remercie et espère ne pas vous décevoir.
Mon cours exposé se bornera à donner un panorama de l'humour
russe sous le régime autoritaire sous lequel nous avons vécu plus de soixante-dix
ans.
Ce régime a été beaucoup critiqué, combattu en occident.
Mais la vision qu'en avait les occidentaux était très partielle, et a
totalement omis de prendre en compte les grandes réalisations faites depuis
Lénine. Les centrales hydroélectriques géantes sur l'Ob et le Iénesseï, le
doublement du Transsibérien, l'égalité hommes-femmes, l'irrigation de l'Asie
centrale, le BAM, les transports publics performants, la conquête spatial, les
canaux larges comme de fleuves... tout cela est délibérément occulté par les
impérialistes. Mais là n'est pas l'essentiel de notre propos.
En effet, outre ces oeuvres économiques et
infra-structurelles, et accessoirement le dont de la possibilité de mesurer les
limites de la souffrance de chaque homme et de tout un peuple (et de prouver
l'inimaginable résistance de l'homme, au goulag), le pouvoir soviétique peut se
gargariser d'avoir forgé une société cohérente et, au sein de société, une des
plus belles conséquence de la dictature du prolétariat, c'est l'humour subtil
développé par les russes, les milliers de blagues inventées à propos des
préoccupations induites par leur problèmes, dû à une certaine incurie,
inefficacité, et même absurdité dans l'organisation du pays. Voici des
exemples, reprenant des thèmes de la treizième symphonie de Dmitri
Chostakovitch. (la plupart des blagues seront affichées par rétroprojecteur
[indiqués dans le texte de la conférence par des numéros] pour ne pas que cette
conférence très sérieuse ne ressemble à une sketch comique, et lira qui
voudra.)
_L'antisémitisme : 1) Brejnev à Kosygin:
- On a combien de juifs dans notre union soviétique?
- Bof... dans les 6-8 millions
- Et combien émigreraient si on les laissait faire?
- Entre 20 et 25 millions...
2)Sur un banc à Moscou, un vieux est assis et lit. Un milicien passe par là et
lui dit:
-Eh toi! Qu'est-ce que tu lis?
-Eh bien tu vois, c'est un livre pour apprendre
l'hébreu.
-Mais à quoi ça te sert d'apprendre l'hébreu? Tu connais
quelqu'un qui parle hébreu par ici?
- Non, mais peut-être un jour j'aurai mon visa pour émigrer
en Israël, et alors je pourrai parler hébreu.
-Mais tu rêves! Jamais on te le donnera, ton visa! Tu vas
rester ici avec nous!
-Bon, alors quand je mourrai, peut-être au paradis je rencontrerai
quelqu'un qui parlera hébreu.
-Et si tu vas en enfer, alors?
-Pas de problème, le russe, je le parle déjà!
_la pénurie dans les magasins : 3)Qu'est-ce qu'un sandwich au jambon russe? Un
ticket de jambon entre 2 tickets de pain
4)Ceausescu (c'est en Roumanie cette fois) est démoralisé : son peuple ne
semble pas l'apprécier. Pour en avoir le cœur net, il veut discuter avec un
ouvrier.
"Il parait qu'on ne m'aime pas
- Mais non, mais non.
- Il parait que des gens seraient prêts à m'assassiner...
- Jamais entendu parler!
- Et même, il parait que certains seraient prêts à profaner
ma tombe!
- ...
- Vous ne dites rien... Tenez, vous, par exemple, vous
viendriez profaner ma tombe?
- Sûrement pas!
- (soulagé) et pourquoi?
- Parce que j'en ai marre de faire la queue!"
5)À Moscou, un propriétaire fait visiter son appartement à son futur locataire.
Après lui en avoir vanter les mérites, elle se retire en disant : "et si
vous avez besoin de quelque chose, n'hésitez pas. Venez me voir, et je vous
expliquerai comme vous en passer".
6)Un type entre dans un magasin :
- C'est ici la boulangerie ?
- Non ici c'est le magasin où il n'y a pas de viande.
_La peur : 7)Pourquoi est-il interdit d'arroser les plantes en URSS?
Parce que ça fait rouiller les micros.
8) Une nuit en 1937, il est trois heure du matin, un homme est soudainement
réveillé par des bruits de pas et des cliquetis dans son immeuble, à Moscou.
Les bruits se rapprochent, il sue, il est paralysé par la peur... mais sa femme
comprend et lui dit : "Rendors-toi, chéri, ce ne sont que des
cambrioleurs..."
On le voit, les Slaves savaient rire de tout et en toute
circonstance. Même après la catastrophe de Tchernobyl : "C'était un bon
peuple, les Biélorusses!".
Et point d'histoire de belle-mère, de sexe, d'amant, de jeu de mots, de
Belges... Outre l'absence de ces sujets sans lesquels pour un occidental il
semble difficile de faire de bonnes blagues, c'est surtout, le plus souvent, un
obscur non-dit, un implicite habile qui fait toute la subtilité, la
sophistication, le raffinement de l'humour russe. On a eu quelques exemples
dans les précédentes histoires drôles (aussi appelées "anekdoty"),
mais le meilleur exemple nous est donné par la blague suivante :
9) À Moscou, un Russe se présente au poste de police dans un état pitoyable et
annonce qu'il vient déposer plainte pour agression et vol. Après lui avoir
administré les premiers soins, on le fait asseoir et le commissaire lui demande
de raconter son histoire.
"Et bien voilà, je venais de chez moi jusqu'à la ville à pied quand, au
moment de pénétrer dans les faubourgs, j'ai croisé deux soldats suisses qui
m'ont attaqué, battu et ils m'ont pris ma belle montre russes, et...
-Pardon camarade, l'interrompt le commissaire, tu dis que deux soldats suisses
t'ont volé ta montre russe?
-Oui, voilà, et...
-Allons, camarade, tu dois te tromper. Ce sont plutôt deux soldats russes qui
t'ont volé ta montre suisse.
-Puisque c'est toi qui le dit, camarade, je crois bien que c'étaient des
Russes.
Le pouvoir tolérait-il de telles offenses? Oui, en partie;
pour permettre au peuple de décompresser. Enfin, beaucoup moins pendant
certaine période de durcissement du régime. Mais théoriquement, si l'on était
dénoncé pour avoir dit ou même écouter complaisamment une blague par quelque
mouchard dont les oreilles traînaient par là, on était passible de l'article 58
cher à Alexandre Soljenitsyne. Quelques blagues d'ailleurs le montrent : à deux
nouveaux arrivants au goulag, on demande ce qu'ils ont fait. Le premier :
"j'ai été bavard. J'ai raconté une blague et j'ai été dénoncé". Le
second : "j'ai été paresseux. J'ai entendu une blague, je me suis dit que
je dénoncerai le lendemain mais un autre a été plus rapide que moi".
Ou encore : Par qui a été construit le canal mer Baltique mer Blanche ?
- Le côté gauche par ceux qui racontaient des histoires drôles, le droit par
ceux qui les écoutaient.
Quelques autres blagues :
10) C'est un gars qui va à la banque à Gdansk pour ouvrir un compte et y faire
un dépôt.
C'est la première fois qu'il va mettre de l'argent sur un compte bancaire,
alors il est un peu nerveux :
- Qu'est-ce qui se passe si la banque de Gdansk fait faillite ?
- Dans ce cas votre argent est assuré par la Banque de Varsovie
- Mais si la banque de Varsovie fait faillite elle aussi ?
- Alors, il n'y aurait toujours pas de problème car la banque de Varsovie est
assurée par la Banque Nationale de Pologne !
- Mais si la Banque Nationale de Pologne fait faillite ?
- Alors c'est la banque Nationale de Moscou qui prendrait le relais !
- Et si la banque Nationale de Moscou fait faillite ?
- Alors votre argent est garanti par la Grande banque de l'Union Soviétique ! !
- Et si cette banque fait faillite ?
- alors dans ce cas, vous aurez effectivement perdu votre argent... Mais avouez
que ça en vaudrait la peine, non ?
La blague qui précède est très subtile, tellement subtile que je ne l'ai pas
comprise. Si quelqu'un pouvait m'expliquer...
[Note : depuis, elle m'a été expliquée. Pour ceux qui comme moi ne la saisissent pas : ça vaut la peine de perdre tout son argent, car si la banque d'URSS fait faillite, c'est parce que l'URSS s'effondre....]
11)Quatre chiens, un français, un allemand, un polonais et un russe discutent.
Soudain le chien français a faim. Il aboie, et son maître lui apporte une
écuelle de viande.
Le chien allemand est très surpris:
-Alors comme ça, tu aboies et on t'apporte de la viande? Moi, je n'ai mes repas
qu'à heures fixes.
Et le chien polonais dit:
-Qu'est-ce que c'est, de la viande?
Et le chien russe dit:
-Qu'est-ce que c'est, aboyer?
12)La radio diffuse une nouvelle accablante. Hier soir, un cambriolage
crapuleux a été commis dans les locaux du ministère de l'intérieur. Une bande
d'individus réactionnaires, après s'être introduite dans les lieux, a dérobé
les résultats de l'élection et en raison de cet acte de sabotage, les élections
ne pourront avoir lieu dimanche prochain comme prévu.
Le peuple n'est pas seul auteur d'histoires amusantes. Les
trois qui suivent nous sont contées par des personnalités célèbre d'URSS.
La première, de Dimitri Chostakovitch, célèbre compositeur
auteur d'impérissables 4ème et 7ème symphonie, valses lyriques, musiques de
film, montre la terreur sous Staline par une histoire (enfin, le livre où ont
été rapportés ces propos a été controversé et contesté par sa veuve, de plus de
tels propos paraissent étonnant de la part d'un homme si timide, modeste,
réservé; mais passons.) On trouve dans ces propos attribué à Chostakovitch moult
détails croquant. Sûrement sa contribution à l'ensemble des histoires drôles
est-elle involontaire, et ce n'était pas son but, d'ailleurs, certains
penseront qu'on a pas à en rire de cette histoire illustrant le pire régime de
terreur qu'a connu l'humanité. Mais exposons-là quand même.
13)Staline et le cinéma
Mais que peut faire un réalisateur de cinéma ?. […] Et il faut beaucoup de
monde pour faire un film et beaucoup d'argent. Là encore, toutes les décisions
de Staline faisaient loi. S'il ordonnait de tourner un film, on le tournait.
S'il ordonnait d'arrêter le tournage, on arrêtait. Cela lui arrivait souvent.
Et si Staline ordonnait de détruire un film qui venait d'être achevé, on le
détruisait. Cela arrivait aussi. On a bien détruit par ordre de Staline le film
d'Eisenstein Le Pré de Béjine. Je ne le regrette guère d'ailleurs, car je
comprends mal qu'on ait pu faire une œuvre d'art à partir d'un sujet montrant
un garçon qui va dénoncer son père. [...]
Il s'agissait de Mikhaïl Romm, de Grigori Alexandrov et de Mikhaïl Tchioureli,
l'une des pires crapules qu'il m'ait été donné de connaître. Il était grand
admirateur de ma musique, bien qu'il n'y comprît strictement rien. Tchioureli
était parfaitement incapable de distinguer un basson d'une clarinette et un
piano d'une cuvette de wc.
[...]
Staline avait au Kremlin sa salle de projection privée. Il allait toujours
visionner les films la nuit. Car cela faisait partie de son travail. Et il
travaillait de nuit, comme tous les malfaiteurs. Il n'aimait pas y aller seul.
Il exigeait que tous les membres du Politburo soient avec lui dans la salle.
Toute la direction du pays était donc présente. Staline s'asseyait derrière
eux, seul dans son rang. Il ne voulait voir personne à côté de lui. On m'a
relaté tout cela en détail et plus d'une fois. Un réalisateur de ma
connaissance me raconta qu'une fois le Chef et Maître eut une idée de génie. Il
était en train de regarder un film soviétique. Lorsque le film fut fini, il
demanda : " Où est le réalisateur ? Pourquoi le réalisateur n'est-il pas
là ? Pourquoi n'inviterions-nous pas le réalisateur ? Nous le ferons désormais.
Je crois que ce sera une bonne chose, camarades, que d'inviter le réalisateur.
Si le réalisateur du film était ici, nous pourrions le remercier, ou lui
exprimer, le cas échéant, nos remarques critiques et nos souhaits. Désormais,
nous demanderons aux réalisateurs de venir assister à nos séances de
projections. Ce sera utile pour eux et leur travail. "
Et il se trouva que le premier qui eut l'insigne honneur de visionner son
propre film en compagnie de Staline fut précisément mon ami. C'était un homme
fort cultivé mais pas très courageux. Avec, en plus, une petite voix
aigrelette. Bref, il n'avait rien d'un preux, ni de corps ni d'esprit.
Pourtant, comme je l'ai dit, ce réalisateur s'efforçait d'être un homme
correct. [...] On fit venir le réalisateur au Kremlin. Avant de le laisser
entrer dans la salle de projection, on le fouilla une quinzaine de fois. [...]
La projection commença. Staline était assis au fond, comme d'habitude. Le
réalisateur, évidemment, ne regardait pas son film, pas plus qu'il n'écoutait
la musique qu'il m'avait demandé d'écrire. Il écoutait ce qui se passait au
dernier rang. Il s'était transformé en un gigantesque récepteur. Le moindre
grincement parvenant du siège de Staline lui semblait décisif. Le moindre
toussotement semblait signifier un tournant de son destin. Telles étaient les
sensations de mon ami, ainsi qu'il me l'avoua par la suite. Cette projection
pouvait lui permettre de s'élever très haut, comme il l'aurait voulu! Mais elle
pouvait aussi causer sa perte.
La suite des événements se déroula de la façon suivante. Pendant la projection,
le secrétaire de Staline, Poskrebychev, entra dans la salle. C'était un
collaborateur fidèle, blanchi sous le harnais. Il apportait une dépêche à
Staline. Le réalisateur était de dos par rapport à Staline et n'osait se
retourner. Il ne vit donc rien, mais il entendit la voix courroucée de Staline
éclater : "Qu'est-ce que ça veut dire, toutes ces idioties ?" Il
faisait sombre dans la salle. Cela n'empêchait pas le réalisateur d'avoir tout
à coup un voile noir devant les yeux. Il y eut un fracas, le réalisateur tomba
sur le sol. Les gardes se précipitèrent aussitôt sur lui et l'emportèrent.
Lorsqu'il eut retrouvé ses esprits, on lui expliqua sa méprise. Et on lui fit
savoir qu'après la fin de la projection le Chef et Maître avait déclaré :
" Le film n'est pas mauvais. Le film nous a plu. Mais il ne faut pas
inviter les réalisateurs. Nous ne les inviterons plus. Ils ont les nerfs trop
fragiles. "
D'après les documents dont nous disposons, le Petit Père des
Peuples avait une façon amusante de parler. Avec des mots simples repris d'une
phrase sur l'autre, comme on le voit par exemple juste ci-dessus, phrases
courtes qui exposent des idées simples et qui semblent empreintes d'une naïveté
et d'une gentillesse qui paraît étrange quand on connaît son penchant pour les
orgies. D'ailleurs, posant la question inquiétante de sa succession : "Que
feriez sans moi, mes petits chats?", aurait-il déclaré lors de l'une de
ces orgies à ses quelques compagnons qui lui restaient...
Si l'on souhaite; on trouvera [ici],
dans ce nid de marxistes purs et durs, beaucoup des discours de la Lumière de
Toute l'Humanité Progressiste, sans la moindre critique. Pour certains, ça peut
prêter à rire. Par exemple, celui prononcé à l'occasion du traité
soviétiquo-finlandais (1948). On retrouve dans tous ses discours cette candeur
présente dans l'extrait précédant, ou encore dans le tableau du Meilleur Ami
des Travailleurs que fait Soljénitsyne dans "Le premier cercle",
lequel auteur n'est pas pourtant le premier des staliniens et qui semble
proposer une défense, comme quoi ce pauvre Staline, en 1949, plein de bonnes
volontés, serait entouré de menteurs qui lui montre une image idyllique de la
situation de son peuple, contraire à la réalité, il croit ces fabulateurs et
continue de gouverner de la même manière, parfois durcit le régime à la demande
de Beria.
Soljenitsyne qui d'ailleurs nous compte cette histoire,
vraie aussi,
Les livres de cet auteur particulièrement réactionnaire sont
émouvants; il veut montrer dans ceux-ci, entre autres, le mensonge, la
difficile vie du goulag, les absurdités du système soviétique, desquelles
parfois il vaut mieux en rire que pleurer...
Encore moins que dans l'extrait précédant, l'auteur ne
cherche à faire rire. Soljenitsyne a voulu montrer dans une scène terrifiante
la machine à broyer qu'est la police politique, et non faire une histoire
drôle, ce rabat-joie. Mais prenons là ainsi.
14)À la fin de la conférence du parti, adoption d'une motion de fidélité au
camarade Staline. Bien entendu tous se lèvent [...]. Des applaudissements
frénétiques se transformant en ovations éclatent dans la petite salle. Pendant
trois, quatre, cinq minutes, ils persistent. [ ] Mais déjà les mains commencent
à faire mal. [..] Mais déjà les hommes d'un certain âge s'essoufflent [...].
Cependant, qui osera s'arrêter le premier...? Dans cette salle, parmi ceux qui
sont debout et qui applaudissent, il y a des membres du NKVD, et ils
surveillent qui cessera le premier! [...] Le directeur de la fabrique de papier
locale, homme solide et indépendant, est debout à la tribune et applaudit, tout
en comprenant à quel point la situation est fausse et sans issue. Il applaudit
pour la neuvième minute consécutive ! Pour la dixième ! C'est de la folie! De
la folie collective[...]. À la onzième minute, le directeur de la fabrique
prend un air affairé et s'assied à sa place [...]. Tous s'arrêtent comme un
seul homme et s'asseyent à leur tour [...].
Seulement, c'est de cette façon-là, justement, que l'on
repère les esprits indépendants [...].
La nuit même, le directeur de la fabrique est arrêté. On n'a
pas de mal à lui coller dix ans pour un tout autre motif. Mais, après la
signature du procès-verbal de l'instruction, le commissaire instructeur lui
rappelle : "Et ne soyez jamais le premier à vous arrêter d'applaudir!"
(extrait de l'Archipel du Goulag, tome I.)
On voit là que l'humour n'était pas l'exclusivité du russe
de base ouvrier et opprimé, ou des classes moyennes (?). Les commissaires eux
aussi ont eu des propos qui peuvent prêter à rire, de préférence quand on les
prend quelques années plus tard et si l'on ne connaît personne qui soit allé au
goulag...
15)À noter aussi que le ridicule n'a pas tué ces autorités ou le KGB. En effet,
ce même Soljenitsyne raconte en sortant les points d'exclamation qu'après avoir
voulu vainement le rouler dans la boue en l'accusant d'être un espion anglais,
français, un nazi, etc..., les autorités soviétiques n'ont rien trouvé d'autre
à dire que de l'accuser d'avoir été un mouchard au goulag (c'est-à-dire d'avoir
collaborer avec ces mêmes autorités).
De même, personne ne rit quand on décerne le prix Lénine à un poète qui a écrit
les vers :
"Même les tous petits enfants
Pulvérisent les normes du plan."
Et puis, ajoutons sur le tas l'idée délirante de Staline
imaginant faire passer des croiseurs sur le canal de la mer Blanche, canal
auquel il avait donner le délai de vingt mois pour la construction, et dont
l'Ougepéou, constatant qu'il y avait cent mille détenu travaillant sur le
chantier à son début, et autant à la fin, a conclu qu'il n'y avait pas eu de
mort.
Les croiseurs sur le canal ont inspiré à Soljénitsyne l'émouvant couplet
suivant : "Ô tyran solitaire! Insensé oiseau de nuit! Dans quelles délices
as-tu élucubré tout cela?"
On a ici une sorte de "lyrisme noir", l'auteur essayant
de saisir une image de l'antre ténébreuse du dictateur, chapeautant un système
ayant tué des millions d'hommes....
En fait, Alexandre Soljénitsyne introduit une quantité non
négligeable d'humour dans ses livres, y compris l'Archipel du Goulag, dont le
sujet sujet ne prête pas, a priori, à rire.
Mais enfin... n'ayant pas vécu ce que ces millions d'hommes ont souffert,
a-t-on le droit de rire à la lecture de l'Archipel? Plusieurs élément tendent à
nous dédouaner dans cette affaire : l'introduction de citations des écrivains
officiels des années trente qui glorifiaient la construction des canaux, par
exemple, l'aide beaucoup pour faire rire le lecteur. Et la présence
relativement abondante de points d'exclamation n'a t-elle pas vocation à mettre
de la bonne humeur?
On peut dire que Soljénitsyne glisse de nombreux éléments
humoristiques dans son monumental Archipel. Par exemple, il propose rapidement
une analyse historique comme quoi les camps du goulag ne serait que la synthèse
hegelienne (thèse antithèse synthèse) des premières prisons (où l'on était
enfermé, torturé, mais sans travail), de chantier de canaux (au grand air,
libre de dormir dans la neige, mais il fallait travailler dur). Il parle aussi
à un moment de la dénonciation comme "rayon de la mort", et en effet,
poursuivons son analyse, jamais un Etat n'a laissé à la disposition de ses
citoyens une tel arme, imparable pour se débarrasser de ses ennemis, tant
qu'ils ne sont pas haut-placés du moins. Les masses disposaient d'un implacable
moyen grâce au concours du KGB.
Soljenitsyne décrit les amusant prétextes pour coffrer un
citoyen, par exemple, si vous posez une aiguille en la plantant dans un
journal, sur la photo d'un dirigeant, et qu'un passant vous voit et vous
dénonce, vous êtes bon pour dix ans du camp pour terrorisme anti-soviétique. Si
le passant ne vous dénonce pas, c'est lui qui risque dix ans car il commet le
crime de non-dénonciation.
Enfin, il y a eu un moment grave, tragique, où le héros a
donné tout son coeur dans une réplique impérissable... quels sentiments
avoir?... Soljenitsyne explique pourquoi la tentative d'exporter les grands
procès de Moscou partout en province pour éduquer les masses a échoué. Lors
d'un des premiers de ces procès de province, tous les inculpés, plutôt que de
pleurer et demander pardon à l'audience comme le font les grosses légumes de
Moscou qui ont été bien cuisiné pendant l'instruction (consulter à ce sujet
"Le zéro et l'infini"), se rétractent. Le doute commence à planer sur
la crédibilité des accusations. Ce qui permet à l'accusé principal à percer, à
l'aide de quelques vérités élémentaires et trivialité évidentes, quelques
fentes dans l'épaisse couche de mensonges nauséabonde qui entoure tout procès
et recouvre tout accusé d'une chape normalement inattaquable. Mais à la fin, le
verdict, préparé à l'avance, tombe tel un couperet : condamné à être fusillé.
Le héros fait savoir qu'il savait bien qu'il était condamné d'avance. En fait,
c'est un silence glacial qui accueille la condamnation, contrairement aux
applaudissements frénétiques qui devraient avoir lieu. L'atmosphère est tendue,
la foule est sur le point de se soulever... Alors, juste avant d'être emmené,
le héros crie au premier rang, où se trouvait les chefs locaux du Parti :
"Et bien? Vous n'applaudissez pas? Et ça se dit communiste, ça?"
Un autre auteur russe cherche lui à faire rire avec son
pays. Il s'agit d'Alexandre Zinoviev. L'extrait affiché est le premier
paragraphe de l"Avenir Radieux", titre qui laisse à penser un certain
sarcasme. En effet, tout le livre est plein d'ironie, d'humour noir, avec
quelques discussions philosophiques au milieu.
Selon cet auteur, l'absurdité du régime soviétique prête
soit à rire, soit à être horrifié, soit surtout à se parer d'un blindage
d'indifférence pour ne pas être suffoqué par l'horreur.
Pour notre part, veillons à en rire plutôt qu'à en pleurer.
16) "VIVE LE COMMUNISME
Sur la place des Cosmonautes, à l'entrée de l'avenue du
Marxisme-Léninisme, on a érigé un slogan permanent : "Vive le communisme,
avenir radieux de toute l'humanité!". Il fut édifié à la demande des
travailleurs. L'opération dura longtemps, principalement en hiver, où les prix
de revient sont les plus élevés. Elle coûta les yeux de la tête. D'après les
rumeurs, autant que la totalité des investissements agricoles au cours du
premier plan quinquennal. Mais maintenant que nous sommes riches, des dépenses
de ce type sont pour nous une vraie broutille. Nous avons dépensé encore plus
pour les Arabes, sans nous appauvrir pour autant. Pour les Arabes, ce fut en
pure perte, alors que, dans le cas présent, l'utilité des dépenses est
indéniable."
Dans ce roman (ainsi que d'autres), l'organisation
soviétique apparaît comme un fascinant système de société d'inertie infinie, où
la médiocrité, l'absurdité, le parasitisme se perpétuent de manière inexorable.
Il suffit d'une minorité de gens sans scrupule, prêt à tout pour arrivé à leur
fin, un climat de suspicion et de surveillance généralisé, un KGB disponible
pour envoyer à tout moment à l'hôpital psychiatrique ou en prison l'individu
faisant preuve du moindre ombre de révisionnisme et anti-marxisme, pour que ce
système se pérennise malgré le dégoût qu'il inspire à la grande majorité des
gens, y compris le narrateur. Nuisible pour quasiment tous (les
"loups" sans conscience et ceux qui étaient au sommet exceptés, les
parasites inclus étant donné que ceux-ci pouvaient craindre de perdre leur
place et vivaient aussi dans la peur), l'organisation perdure d'abord par une
démoralisante formation empreinte du culte de l'idéologie communiste à l'école,
puis la surveillance généralisée afin de détecter la moindre déviance
(surveillance qui se fait aussi à l'école entre les élèves).
Il semble aussi que la part du parasitisme ne fait qu'augmenter avec le temps
(on peut entendre par parasitisme, par exemple, les écrivains médiocres, les
théoriciens du marxismes glorifiant les réalisations du régime et le bonheur
dans lequel baigne la population...). En fait, il semble que les rares progrès
effectués par le pays acquis malgré la médiocrité du système et l'envoi au
goulag de tout ceux qui montre un soupçon d'idée novatrice ou de travail bien
fait, n'aient servi qu'à nourrir plus de parasites.
La médiocrité touchaient les grandes institutions à leur
sommet, ainsi étaient la majorité des directeurs de facultés et plus
généralement d'institutions : médiocres mais zélés envers le Parti. Si l'on
contestait les thèses ineptes du supérieur, on étaient accusé d'anti-soviétisme
et exclu de la faculté ou l'institution, ainsi la médiocrité gagnait toute la
société, et les sciences n'avançaient guère, les arts étaient étriqués
(Chostakovitch excepté...), la justice inique...
On peut en tirer quelques remarques de ceci : c'est à se
demander d'une part comment il y avait à manger pour tout le monde avec ça,
comment les barrages sur le Iénesseï ont bénéficiés d'un ciment de qualité et
qu'ils n'aient pas cédé à la première cru, comment il n'y a eu qu'un seul
accident type Tchernobyl, etc..., et d'autre part comment Gorbatchev a pu faire
quelques choses de réformateur. Du moins en théorie (car Zinoviev démonte cette
idée dans "Katastroïka")
Enfin, on peut être optimiste sur la morale de l'homme (ce
que l'auteur ne remarque pas), car bien qu'il y ait quelques "loups",
peu d'individus utilisaient, comme ces "loups", le zèle par la
dénonciation du collègue pour monter en grade, sinon les institutions auraient
été en permanence purgées et les goulags recouvrirait la moitié du pays. Et
malgré les mouchards, les "amis" du narrateur de même statut social,
ainsi que ses enfants à l'école, laissaient passer moult propos
anti-soviétiques.
Enfin, du temps de Staline où, à l'école, l'on enseignait implicitement le vol,
le crime, l'écrasement de sa conscience morale, ce n'est pas une énorme partie
des gens qui en sortait voleur, délateur...sinon, le pays n'aurait pas tenu
debout longtemps.
Mais je digresse...
En fait, on constate que les livres de Zinoviev peuvent être
considérés comme des recueils de blagues et histoire amusantes russes, ou
plutôt histoires dont il vaut mieux rire que pleurer, non? Je vous conseille
vivement cet auteur. Des titres de chapitre discrets, le peu d'artefact tels
les italiques, points d'exclamation, etc... ce style sobre de l'écriture fait
ressortir la subtilité de son humour à l'état pur.
À noter aussi que le régime oppresseur, l'état de non-droit,
la pénurie structurelle, les dysfonctionnement de l'URSS pouvaient aussi
inspirer les auteurs étrangers. On n'oubliera pas les quelques blagues du
comique français Michel Colucci, ou encore les allusions fines de Pierre
Desproges, et par exemple son impérissable "Gardez Sakharov!".
Je ne vous ai pas expliqué
les histoires en détail car une analyse fine m'a semblé peu utile, supposant
que vous aviez compris. Par exemple, dans l'histoire drôle que je considérais
comme la plus subtile, avec le russe qui disait avoir été tapé par des soldats
suisses, il est clair qu'il a été très malin. En effet, il n'aurait jamais pu
se plaindre d'avoir été tapé par des soldats russes, qui comme chacun étaient
aussi polis que le Léviathan d'état était démocratique, et donc incritiquables.
C'est ainsi que le russe eut l'idée du subterfuge de faire avouer le crime par
le commissaire. C'est compris?
Analysons de même cette blague succintement :
17)Dans la petite ville entre Norilsk et Vorkouta, on discutait tous les
mercredi de problèmes fondamentaux. De l'avenir de l'humanité et du communisme
en général, de la ville en particulier.
A la fin de la séance, le camarade Président se lève, et dit : "camarades,
y a-t-il des questions ?"
Une main se lève. "Je t'écoute, camarade Popov", dit le camarade
Président.
- Camarade Président, j'ai deux questions. Pourquoi les automobiles sont-elles
si chères, et pourquoi ne trouve-t-on plus de beurre?
- Camarade Popov, tes deux questions sont fondamentales, le comité va y
réfléchir, et t'apportera une réponse mercredi prochain.
Le mercredi suivant, on discute de problèmes fondamentaux. De l'avenir de
l'humanité et du communisme en général, de la ville en particulier.
A la fin de la séance, le camarade Président se lève, et dit : "camarades,
y a-t-il des questions ?"
Une main se lève. "Je t'écoute, camarade Souslov", dit le camarade
Président.
- Camarade Président, j'ai trois questions. Pourquoi les automobiles sont-elles
si chères, pourquoi ne trouve-t-on plus de beurre, et où est passé le camarade
Popov?
Il est évident que le camarade Popov a été arrêté par le KGB ou quelque chose
comme ça. Le fait que ce fait reste dans un noir implicite montre une subtilité
certaine dont font preuve les Russes dans leurs blagues pour ne pas faire
d'attaque directe envers le régime, cela suscite normalement l'hilarité de
celui qui écoute l'histoire.
Les blagues courtes étaient aussi appréciées :
18)Quelles sont les quatre pires catastrophes pour l'agriculture russe?
l'hiver, l'été, l'automne et le printemps.
19) Un russe rencontre un camarade.
- Dis donc, je t'ai pas vu à la dernière réunion du Parti ?
- Ah, non. Mais si j'avais su que c'était la dernière, j'y serai allé !
20)Exemple de détournement de slogan : le communisme c'est le pouvoir
soviétique plus l'électrification de tout le fil barbelé.
21)Qu'est ce qui se passera si Brejnev est mangé par un crocodile ?
- Pendant deux semaines le crocodile va chier des médailles.
22)Un russe est assis chez lui, à la table de sa cuisine. Il est en train de
boire de la vodka. Arrive son fils.
- Papa, le prix de la vodka a augmenté. Ca veut dire que tu vas moins
boire?
- Non fiston, ça veut dire que tu vas moins bouffer.
23)Pourquoi il n'y a pas de doryphores en URSS?
Parce qu'il n'y a pas de pommes de terre.
Pour finir...
25)Dans un stade en URSS, des athlètes s'entraînent. Arrive un tout petit Juif
malingre qui demande à participer au lancer de marteau. On rit de lui, on
accepte de lui donner un marteau pour qu'il se ridiculise complètement.
Et le juif lance le marteau très loin, au-delà des limites du stade.
"Et encore, dit-il à l'assistance médusée, vous n'avez pas vu ce que je
peux faire avec une faucille.."
26)On annonce à Staline que l'on a découvert son sosie.
- Qu'on le fusille, ordonne Staline.
- Camarade Staline, peut-être qu'en lui rasant les moustaches...?
- Bonne idée. Qu'on lui rase les moustaches et ensuite qu'on le fusille.
27) Un Anglais, un Français et un Russe se trouvent devant un tableau d'Adam et
Ève dans le Paradis Originel.
L'anglais dit :
- Regardez leur réserve, leur calme... Ils doivent être anglais
Le français dit alors:
- Je ne pense pas. Regardez-les comme ils sont beaux et impudiques. À mon avis,
ils sont français.
Le russe les achève en leur disant :
- Vous n'y êtes pas du tout. Regardez mieux. Ils n'ont pas de vêtement, pas de
maison, seulement une pomme à manger et on leur dit que c'est le Paradis ! Ils
sont russes.
28) Extraites des "Hauteurs béantes" de Zinoviev.
Dialogue du pessimiste et de l'optimiste :
Le pessimiste : ça peut pas aller plus mal...
L'optimiste : Mais si, mais si!
Une anecdote qui veut montrer que personne
n'est dupe du mensonge d'état.
Un homme criait "Crétin vaniteux", on l'a coffré pour insulte à
Brejnev bien qu'il affirmât viser un collègue de bureau. On lui répondit :
"Arrêtez de vous payer notre tête, avec votre collègue de bureau, on sait
très bien qui est le crétin vaniteux"
Zinoviev consacre un "chapitre" de son livre sur les anekdotys. Le voici, modifié pour l'usage de cette car cette histoire fait semblant de cacher ce qu'elle décrit ne cite nulle part les mots courant tels que "russe"(devenu "Ivanien"), "Staline" (le Patron), Brejnev (Le Numéro Un), Khrouchtchev (Kroukrou, surnom affectueux je suppose), le Parti (la Confrérie) etc... On peut dire que ce paragraphe donne une assez bonne vision objective de la fonction des blagues russes.
..."Même chez nous, où la sociologie ne fut autorisé que tout récemment, provisoirement, et dans les limites et les directoins raisonnables du point de vue des autorités, le nombre de sociologues a dépassé le millier en quelques années et leurs recherchent menacent de plus en plus de prendre un caractère scientifique."
"L'anecdote
C'est l'anecdote qui devint le phénomène
essentiel de la vie spirituelle russe de cette période. L'anecdote interdite et
passible de châtiments, précisons-le. Justement les spécialistes classaient les
anecdotes suivant les peines qu'elles pouvaient entraîner. Le principe de base
de l'anecdote est illustré par l'anecdote suivante. Un anglais sur dix meurt en
mer, mais cela n'empêche pas les anglais d'être de fervents navigateurs. Un
américain sur cinq meurt dans un accident de la route, mais cela n'empêche pas
les américains d'être des enragés de l'automobile. Un français sur trois meurt
d'amour, mais cela n'empêche pas les les français d'être des amants passionnés.
Un soviétique sur deux est un mouchard, mais cela n'empêche pas les russes
d'être des amateurs passionnés de l'anecdote anti-soviétique.
Les anecdotes naissaient en quantité incroyable sur des
thèmes qui en principe, ne se prêtent guère à l'anecdote et au rire. Mais le
plus étonnant de cette épidémie, c'est que toutes ces anecdotes ne refermaient
rien d'anecdotique. Elles exprimaient seulement ce que les russes
pouvaient observer dans leur vie quotidienne, mais sous la forme concentrée et
imagée d'un aphorisme. Par exemple, un Russe demande à un autre Russe pourquoi
on ne trouve plus de bonnets de fourrure d'ondatras en vente. "Parce que,
répond l'autre, les ondatras se multiplient par progression arithmétique, alors
que les membres de l'appareil du Parti se multiplient par progression géométrique.
De plus, il n'y a pas eu de purge depuis longtemps". Or, ceci n'est pas
une anecdote, mais la vérité vraie.
Ou bien un Russe demande à un autre Russe combien la récente
catastrophe ferroviaire a fait de victimes. Cinquante, répond l'autre. Ah bon, dit
le premier, ça fait donc cinq cents, si on compte comme avant (c'était juste
après la réforme monétaire). Ce qui est intéressant, c'est que la catastrophe
avait bien fait cinq cents victimes.
L'essor de l'anecdote se situe dans la phase libérale de la période passée. L'anecdote, si critique soit-elle, suppose une certaine part d'optimisme. Dès que les illusions eurent laissé place à la conscience d'un avenir sombre et inévitable, les anecdotes disparurent d'elles-mêmes, sans que le KGB ait à intervenir. L'anecdote russe est une tragédie, mais avec une pointe de comédie. Car la tragédie sans trace de comique n'est guère propice à l'anecdote."
Autres blagues, extraites de "L'avenir
radieux" :
Celle-ci prouve la bonté de Lénine. Un matin, le Guide de la Révolution se
rasait, et des enfants passent à côté de sa fenêtre. Ils lui disent avec
entrain"-Bonjour, camarade Lénine.
-Allez vous faire voir, bande d'imbéciles!"
Alors qu'il aurait pu leur trancher la gorge avec son rasoir!
29)
Les méthodes employées par
les dirigeants pour recevoir les gens du peuple demandant une audience. Extrait
d'"Homo Sovieticus" de Zinoviev, où se mêlent comédie et drame
(surtout drame).
Notons que le narrateur n'est pas l'auteur.
"On fixe à la personne désirant être reçue en audience un jour et une
heure de réception. Elle est acceuilli par l'un des adjoints du dirigeant et
courtoisement invitée à passer dans une autre pièce. Celle-ci n'a ni portraits
ni fenêtres. Seulement une table et deux chaises. Là l'adjoint du Personnage
invite le visiteur à s'asseoir et à lui exposer l'essentiel de sa requête ou de
sa plainte. Le visiteur s'exécute avec enthousiasme. Après l'avoir écouté,
l'adjoint propose alors au visiteur de passer dans une autre pièce. Exactement
semblable à la précédente. Là, l'adjoint, une fois encore, prie le visiteur
d'exposer le motif de sa demande avant d'être reçu par le Personnage. Le
visiteur répète ce qu'il a déjà dit avec un peu moins d'enthousiasme et de
détails. A la suite de quoi l'adjoint introduit le visiteur dans la pièce
suivante où l'attend la même procédure. Ordinairement à la troisième étape le
visiteur est pris d'effroi et demande à rentrer chez lui. Ce qu'on lui accorde.
Il est rare qu'on arrive jusqu'à la cinquième pièce. En fait il n'y a que deux
pièces. Et deux adjoints. Mais à la troisième étape le visiteur n'est déjà plus
capable d'identifier les gens et les choses. Récemment, à Moscou, un dissident
soviétique m'a parlé, horrifié, de cette méthode. J'ai fait celui qui en
entendait parler pour la
première fois et je lui ai conseillé de dénoncer « ce système criminel ». Il
m'a dit qu'on ne disposait, hélas, d'aucune preuve formelle de son existence.
Il avait raison. Aucun de ceux qui ont expérimenté cette méthode n'en a pipé
mot. Pourquoi ? Parce que nous avons recommandé de n'utiliser cette méthode
qu'avec les intellectuels. Un ouvrier ou un paysan ne saisirait pas ce genre de
« finesse psychologique ». On leur applique à eux des méthodes plus simples,
par exemple celle des doubles. Du temps de Staline, me racontait un vieux «
poivrot », les travailleurs cherchaient beaucoup à se faire recevoir par
Boudenny ou par Vorochilov. Une fois l'un d'entre eux essaya de voir Boudenny
pour lui demander d'améliorer son logement. Le fonctionnaire qui l'accompagnait
était saoul et au lieu de l'introduire dans la pièce où devait le recevoir
Boudenny, il le fit passer dans une pièce où se tenaient une vingtaine de «
Boudenny » en train de boire de la bière, de jouer aux dames, de « taper le
carton », de jurer et de rigoler. Jamais de sa vie notre poivrot n'avait vu un
spectacle aussi effrayant. Il fut d'abord copieusement roué de coups puis
envoyé dans un asile. Lorsqu'il en est ressorti au bout de deux ans, personne
n'a cru à son histoire."
Un extrait intégral des Hauteurs Béantes, le deuxième chapitre de l'histoire :
"On nomma un nouveau Numéro Un. Puis on expédia quelque part l'ancien directeur, en raison de son inutilité. Le nouveau était tout aussi vieux que l'ancien, mais en revanche il n'était pas moins progressiste, ni moins instruit. A côté de l'hôtel, on érigea une dizaine d'églises pittoresques toutes neuves, datant au plus tard du dixième siècle; cela, afin que les touristes aient quelque chose à se mettre sous la dent dans leur temps libre que leur laissaient les visites des entreprises-modèles. Les murs des églises furent couvertes de fresques médiévales par le Peintre en personne, qui avait créé le portrait du Numéro Un campé en première ligne et qui fut pour cela gratifié d'un prix, d'une récompense et d'un titre. Le Peintre représenta les descendants démocrates dans leur héroïque combat quotidien, et les grands militants du culte de cette époque reculée, mais complètement oubliée. Sur la fresque principale, le Peintre représenta le Numéro Un et ses adjoints qui furent aussitôt gratifié d'un prix, quant au Numéro Un, il reçut deux prix : un pour ceci, un autre pour cela. En conséquence, les denrées alimentaires baissèrent et c'est pourquoi elle n'augmentèrent que de cent pour cent, et non de cinq pour cent, comme chez les autres, là-bas. La rivière Ivanasse fut barrée dans tous les sens. Elle reflua en arrière, inonda le champ de pommes de terre, objet passé de la fierté des Ivanien et forma un lac artificiel, objet présent de la fierté des Ivaniens. Tous les habitants furent récompensés, à l'exception de quelques-uns. A cette occasion, le Directeur donna une lecture d'un rapport où il fit une analyse de tout et où tout fut synthétisé. En conclusion, il affirma : mais ça ne fait que commencer, vous allez vois ce que vous allez voir. Le rapport avait été préparé par le Prétendant, à la tête d'un important groupe de collaborateurs. Cette circonstance est restée dans l'ombre, car elle était connue de tous, sauf du Directeur; celui-ci fut donc récompensé, puis on lui décerna une récompense pour avoir été récompensé."
Un mot du quatrième de couverture sur l'humour de Zinoviev : il "pourrait bien bien avoir fait de son application de la littérature à la logique un genre littéraire nouveau. Sa lucidité ne lui a pas seulement désigné la cible, la machine totalitaire à mille têtes, mais aussi l'arme pour la combattre : le ridicule, le burlesque, la dérision. Un pessimisme radical s'inscrit dans cette logique de logicien, comme si, à partir d'un certain degré d'absurdité, au-delà de tout fiction dérivative ou réparatrice, seul l'humour à froid pouvait rendre compte de l'univers de hommes-robots".
30) À propos de l'auto-dérision (ou ce que
nous prenons comme tel) des autorités, M.Voslensky nous en offre un bel exemple
: il s'agit du programme du parti communiste d'URSS en 1961 avec les objectifs
pour 1970 : "Au cours de la prochaine décennie, l'Union soviétique dans la
construction de la base matérielle du communisme, aura dépassé, en terme de
revenu par tête d'habitant, les USA, le pays capitaliste le plus riche et le
plus puissant."..."Dans la prochaine décennie on mettra un terme au
manque de logement", "Le travail physique pénible aura disparu",
"la durée du travail hebdomadaire sera ramenée à 35 heures en 1970 et
encore raccourcie dans la décennie suivante". "Il n'y aura plus dans
le pays, dès la fin de la décennie, de groupes de travailleurs ou d'employés
mal payés". Quant au programme de 1971, Volensky dit de lui qu'il raconte
"des choses qui ont autant à voir avec la réalité que les Contes des Mille
et Une Nuits".
Selon cet auteur particulièrement critique, la science
nommée "économie politique du socialisme", créée en 1954, est une
"discipline scientifique étrange où chaque thèse est pure
élucubration". Il nous donne ainsi une vision globale du travail effectué
à l'époque dans une grande partie des académies soviétiques.
31) Un journal clandestin de Moscou lance un concours de blagues sur Brejnev. Premier prix : vingt ans ferme.
32)Au cours d'une réunion politique, à
l'automne 1938, Staline prend la parole pour un discours fleuve. Il parle, il
parle, il parle. Soudain, un éternuement rompt le discours. Staline lève la
tête et demande : "Qui a éternué"?
Un silence terrifié lui répond. Staline repose sa question, nouveau silence.
"Qu'on fusille le premier rang!" ordonne le dictateur.
Aussitôt dit, aussitôt fait.
Staline repose sa question, toujours pas de réponse. "Qu'on fusille le
deuxième rang", et le second rang est liquidé. Staline pose encore une
fois sa question, et un homme sort du troisième rang, timidement : "C'est
moi, camarade.
- À tes souhaits, camarade", répond Staline avant de reprendre son
discours.
33) À Moscou, 5 heure du matin. Un homme
rentre discrètement chez lui, essaye de ne pas faire de bruit. Mais sa femme se
réveille quand même.
- C'est à cette heure que tu rentres? Où étais-tu?
- Écoute chérie, tu ne vas pas me croire, balbutie l'homme d'un ton coupable.
En sortant du travail, j'ai croisé une femme magnifique qui m'a d'abord demandé
un renseignement et de fil en aiguille nous avons sympathisé. Elle m'a invité
chez elle, un riche appartement, et j'ai honte de le dire, mais nous nous
sommes aimés jusqu'à l'aube et...
- Menteur! Si tu crois que je ne sais pas que tu es encore allé à une de tes
sales réunions du Parti...
34)De retour d'un voyage en Inde, Brejnev
demande à son maquilleur de lui dessiner le même point qu'Indira Gandhi.
Brejnev explique à son maquilleur étonné par cette demande :
-J'ai longuement discuté avec Indira Gandhi, et à la fin elle m'a dit :
"Vous êtes un brave homme, Léonide, mais il vous manque quelque chose
là."
34)Un homme entre dans l'autobus, bouscule
les autres passagers.
- Pardon, messieurs, pardon...
- On ne dit pas "messieurs", on dit "camarades", corrige le
contrôleur.
- Mais non; les camarades ne prennent pas l'autobus, ils ont de grosses
voitures noires.
36)Pour le cinquantenaire de la révolution
d'Octobre, on se livre à des concours d'imagination pour commémorer
l'évènement. Dans une école, on eut la brillante idée d'inviter quelqu'un qui
aurait connu Lénine, et on déniche un vieillard qu'on reçoit en grande pompe.
Il raconte aux enfants.
"En 1917, j'étais avec les bolcheviques, nous avions gagné et nous nous installions
dans le palais de l'ancien tsar. J'avais passé toute la journée à porter des
meubles et j'étais épuisé. Je décidais de faire une pause et entamer un brin de
causette avec une fille. Alors est arrivé un type assez petit, chauve, avec une
barbiche et une moustache qui m'a dit : "Camarade, ce n'est pas le moment
de s'amuser". Je lui ai répondu : "Va te faire foutre". Cinq
minutes plus tard arrive un type plus costaud.
"Alors, c'est toi qui insulte le camarade Lénine?
- Va te faire foutre", je lui réponds aussi.
Après, vous savez comment c'est, tout s'enchaîne, et finalement j'ai été libéré
l'an dernier."
37)Un peu d'histoire :
- Comment est mort Maïakovski?
- Le camarade Maïakovski s'est suicidé. Il a n'a pas pris le tournant de 1927
et n'a pas compris les changements nécessaire.
- Et quelles furent ses dernières paroles?
-"Ne tirez pas, camarades!"
38)Quelle est la différence entre la Tchécoslovaquie et Israël? Israël n'est entouré que d'ennemis
39) Le Petit Père des Peuple, parmi la masse
de discours impérissables qu'il a prononcé, a laissé cette phrase
particulièrement remarqué : "L'Homme est notre capital le plus
précieux". Voici une anecdote qui, mieux que les deux cent mille morts du
Canal de la mer Blanche à porter des cailloux, illustre cette affirmation :
Un responsable d'une grande banque américaine visite la banque de Moscou. Là,
il constate effaré que de lingots d'or jonche le sol, dans tous les sens. Il
demande :
-Comment se fait-il que vos lingots traînent par terre ainsi, n'importe comment?
Chez nous, l'or est gardé dans des coffres, et protégé par des forces de
sécurité importantes.
-C'est normal, vous êtes en pays capitaliste et pour vous l'or est ce qu'il y a
de plus précieux. Tandis que chez nous, en pays socialiste, c'est l'homme qui est
notre capital le plus précieux.
40)Lors d'une réunion du parti, le camarade
Ivanov s'endort. Fou furieux, le chef de cellule le secoue comme un
prunier.
-Ah, camarade, tu n'aurai pas dû me réveiller. Je faisais un rêve merveilleux,
j'étais dans un pays extraordinaire au milieu duquel se dressait une montagne
de beurre sur laquelle trônait Dieu et...
-Espèce de crétin, hurle le chef, tu sais bien que Dieu n'existe pas!
-Et le beurre, camarade, et le beurre....
41)En Roumanie, un fonctionnaire du ministère
de l'économie explique à des amis que le nouveau plan prévoit d'important
effort dans le domaine des moyens de transports.
-La première année, on fabrique un million de bicyclettes et on rattrape la
Suède. La deuxième année, on fabrique un autre million de bicyclette et on
rattrape la Grande Bretagne. La troisième année, on fabrique un million
d'hélicoptères et si on apprend qu'il a poussé des légumes quelque part, on
pourra les rattraper.
42)-Que se passerait-il si l'URSS parvenait à
établir un régime socialiste au Sahara?
-C'est bien simple, le Sahara commencerait par exporter de l'eau et importer du
sable...
43) Staline a perdu sa pipe. La moitié du
Politburo cherche sans succès. Staline appelle alors Beria et ordonne de se
mettre en état d'alerte.
Deux heure plus tard, en ouvrant un tiroir, Staline retrouve sa pipe. Il
appelle Beria pour lui dire de faire cesser le recherches. Beria demande alors
ce qu'il faut faire des deux cents suspects qui viennent d'avouer le vol.
44) A propos de l'incurie dans la production
soviétique...
L'écrivain André Gide est parti plein d'espoir en URSS, au début des années
trente. Il a vite déchanté. Cela a commencé par des petites remarques, comme
celles-ci par exemple :
On lui présente un ouvrier stakhanoviste qui "est parvenu à faire en cinq
heure le travail de huit jours. Je me hasarde à demander si cela ne revient pas
à dire que, d'abord, il mettait huit jours à faire un travail de cinq heures?
Mais ma question est assez mal prise et on préfère ne pas y répondre.
Je me suis laissé raconté qu'une équipe de mineurs français,
voyageant en URSS et visitant une mine, a demandé, par camaraderie, à relayer
une équipe de mineurs soviétiques et qu'aussitôt, sans autrement se fouler,
sans s'en douter, ils ont fait du stakhanovisme."
Plus loin, plus tard (en 1936), Gide rapporte qu' "une table de
multiplication est donnée sur la couverture des cahiers d'écoliers. On y
apprend que 8 x 3 = 18; 7 x 6 = 72; 8 x 6= 78; 5 x 9 = 43; etc..."
C'est à des petits détails comme cela qu'on mesure la tragédie de l'histoire du
pays.
45) Comment est-ce que les membres de la
police font pour se raconter des blagues sur leurs patrons sans finir en
Sibérie ?
- Ils commencent par : "Dernièrement, j'ai eu à traiter le problème
idéologique suivant..."
46)La plus courte :
Deux polonais travaillent...
47)Les sept merveilles du pouvoir soviétique:
-il n'y a pas de chômage, mais personne ne travaille
-personne ne travaille, mais le plan est rempli
-le plan est rempli, mais il n'y a rien à acheter
-il n'y a rien à acheter, mais il y a des queues partout
-il y a des queues partout, mais nous sommes au seuil de l'abondance
-nous sommes au seuil de l'abondance, mais tout le monde est mécontent
-tout le monde est mécontent, mais tous votent "pour"
Pour conclure, nous pouvons dire que l'humour russe s'est
développé en dépit de la répression du régime soviétique, et s'est nourri des
travers de ce régime, des dysfonctionnements, de ses absurdités, de son
hypocrisie; avec une noire ironie, les russes se sont amusés même de la terreur
stalinienne, des disparitions d'individus. Bien que censurées, punissables, les
histoires drôles ont fleuries (et fleurissent encore sous le régime actuel)
abondamment sur la terre de désolation qu'était la société soviétique faite de
suspicion généralisée, de pénurie, de haine. C'est ainsi que le peuple russe a
survécu, s'est en partie réconforté. On peut conserver en mémoire le fait que
ce que l'URSS a fait de meilleur, c'est cette production de blagues
impérissables et raffinées, d'ironie inoxydable, d'humour noir
implacable."
.......................................
18/03/2005
Le temps a passé depuis la première publication de cette page internet, elle s'enrichissait régulièrement d'anecdote et morceau de littérature. J'ai récemment trouvé une interview d'Alexandre Zinoviev, datant de vers 1980, dont le discours complèterait la conclusion ci-dessus. On demandait à l'écrivain :
"Quelles fonctions jouent dans la
société soviétique les "anecdotes" ou histoires drôles qui pullulent
dans vos livres?"
Alexandre Zinoviev : "Un rôle colossal dont vous ne vous rendez peut-être
pas compte ici. A mon avis, les anecdotes, les plaisanteries, les jeux de mots,
les courts récits satiriques sont la principale forme de création littéraire en
Union soviétique. Et jamais, me semble-t-il, n'est apparu dans l'histoire de
l'humanité un phénomène de cette ampleur. Cette forme d'activité littéraire est
en adéquation parfaite avec la société communiste et rien ne saurait l'exprimer
mieux. La vie va de telle manière qu'il n'est pas besoin de beaucoup de mots
pour l'exprimer : beaucoup de mots, ce serait faux, alors qu'une seule pointe
d'humour peut expliquer en totalité un problème et clore la question."
………………………..
28/05/2009
On ne manquera pas, alors qu’il arrive à
notre connaissance, de mentionner l’existence, et de commenter succinctement,
le deuxième mouvement de la Treizième Symphonie de Chostakovitch, dédié à l’humour,
suivant un poème d’Evtouchenko.
Extrait de la traduction:
-------------
Humour
Les tsars, les rois, les empereurs,
les souverains du monde entier
tous ont commandé des parades
mais l'humour, ils n'ont jamais pu.
Dans le palais des grands,
qui passaient leur temps à se prélasser,
entrait le wagabond Esope
et tous avaient l'air de clochards.
[…]
Ils ont voulu acheter l'humour
(Chœurs : mais il n'était pas à vendre!)
Ils ont voulu tuer l'humour
(mais l'humour leur a fait la nique!)
Le combattre est une dure affaire.
Ils l'ont souvent exécuté
[…]
Mais dès que les mirlitons
commencèrent à se faire entendre
il cria très fort :
"Me voici!"!
(Et, désinvolte, se mit à danser)
Vétu d'un petit manteau minable,
l'air abattu et apparemment repentant,
on le vit, prisonnier politique,
aller à son exécution.
Tout en lui montrait qu'il était soumis,
prêt à entrer dans l'au-delà,
quand soudain du manteau il s'esquiva,
un signe de main
(et-Salut!)
ils ont jeté l'humour aux oubliettes,
mais le diable n'aurait pu l'y garder.
(Barreau de fer ou muraille de pierre,
il passe à travers tout. )
[…]
et , de temps en temps, l'humour même
se regarde avec humour.
Il est éternel
(Eternel!)
Et rapide
(et rapide!)
il passe à travers tous, à travers tout.
(Alors un ban pour l'humour!
C'est un gaillard qui a du cran!)
------------
On peut voir dans ce propos des allusions à
la vie de Chostakovitch. Ne peut-on pas voir un point commun entre, par
exemple, l’allégorie de l’humour, qui se tire de toute circonstance, et la
façon dont Chostakovitch à survécu au dictateur Staline ?
Réécouter le final de sa Neuvième Symphonie
nous donne des éléments dans ce sens. Elle fut écrite en 1945, après la fin de
la guerre, Staline aurait voulu qu’il s’agisse d’une œuvre grandiose pour
célébrer « sa » victoire. Or, contrairement à la Septième pleine d’emphase,
Chostakovitch se contente d’une œuvre courte, et au final extrêmement léger.
Voyez la fin de cette 9ème symphonie : nous avons là une
parodie de marche militaire, ridiculisant ce type de musique ! Cela peut être
considéré, comme une offense à l’armée…
Et malgré cela, le compositeur a survécu, à l’instar
de l’humour personnifié, dans cette symphonie à parole écrite plus de quinze
ans plus tard.